MARIE BOVO : Photographies

16 Mai - 29 Juin 2019

"Chacune des séries de Marie Bovo est un travail construit sur une double temporalité : celle, au long cours, d'un travail de recherche, et celle, spécifique au travail photographique à la chambre, du temps de pose. La sérialité permettrait la documentation d'espaces a priori banals, mais auxquels patience, récurrence et hasards, conférent une aura échappant à la simple captation". Audrey Teichmann

 

Jours blancs tient de l'impression comme de la disparition. La série, produite sur les îles Lofoten, en Norvège, aux abords des hautes latitudes de l'hémisphère Nord, saisit ces jours polaires durant lesquels le soleil ne se couche jamais. De très longs temps de pose fixent cette manifestation contrevenant à l'obscurité totale - cet antonyme de la photographie. Les « soleils de minuit » baignent d'une lumière presque blanche sol, mer, et ciel, laissant à l'imperturbable ligne d'horizon le rôle de repère courant d'une image à l'autre. La zone de marnage garde, au milieu de compositions à la succession de plans picturale, le flou ou l'indéfinition d'une rive découverte et recouverte par l'eau : « Une rive sablonneuse est et n'est pas un terrain. C'est une sorte de frontière, mais une frontière paradoxalement mal définie, qui disparaît et apparaît à nouveau (...). Je ne parle pas simplement de la différence qu'il y a entre deux endroits, mais plutôt d'un espace créé par le voyage »(1). Cet « espace créé par le voyage » est l'enjeu de cette attente propre à l'image en train de se faire, dont les longs temps de captation puis révélation contribuent paradoxalement à faire disparaître certains contours, et limites. Le paysage semble continuer d'advenir sous nos yeux, sans césure temporelle ni loi du cadre, outrepassée par la saisie de toute la lumière de ces jours blancs.


Cours intérieures, à l'inverse, multiplie les cadres dans les cadres. La série, inscrite dans des immeubles de la Joliette, proches du port de Marseille et de ses terminaux vers l'Afrique du Nord, a été produite entre fin 2008 et début 2010, avec des séances de pose d'une journée. L'architecture du XIXe siècle, lieu de vie de familles aux conditions de vie souvent précaires, y est construite et photographiée à partir des cours intérieures, figures classiques d'intimité collective et panoptique. Chaque étage est marqué d'une raie quadrangulaire, dont la dernière cerne le ciel, qui, par effet optique, ou persistance rétinienne, semble occuper un premier plan de monolithe monochrome. Sur ce bâti figé, tremblent le linge et les lumières, manifestations de vies suspendues de part et d'autre de cet espace à la fois privé et public, creuset de cultures méditerrannées et de leurs flux. 


Stances est une série d'arrêts sur déplacement, sans indice d'ordre ni de linéarité. Constituée en 2017 lors d'un long voyage en train entre St Petersbourg et Murmansk, elle est un ensemble de photographies prises au cours des 20 secondes durant lesquelles les portes du wagon s'ouvrent, avant de se refermer comme un obturateur. Rien n'indiquant si la porte s'ouvrira à gauche ou à droite, chaque photographie est le fruit d'un heureux hasard. À nouveau, se pose la question du cadre, matérialisé par la porte ouverte sur un paysage, dont l'on imagine l'irruption sans préalable aux yeux de la photographe, sous l'inscription Не прислоняться - «ne pas s'appuyer» -. Les Stances sont à la fois un système poétique - un ensemble de vers formant un sens fini - et les « Стансы », petites stations de train russes. « Chaque station est une pause, et, en même temps, chaque arrêt trouve son sens en soi comme cadre et comme lieu »(2). L'ensemble du trajet et des pauses constitue une sorte de texte poétique, ponctué de pauses brèves mais déterminant sa tonalité. Stances y est cette histoire des silences et des marges d'un pays post-communiste, aux wagons métalliques ouverts brièvement sur des scènes aux fûts d'arbres neigeux dépourvues d'occupants, quand le moyen de transport emprunté est celui du collectif. 


Au sein de trois séries, comme de l'ensemble de son travail, Marie Bovo s'attache aux transformations d'espaces définis par une lumière de passage ou de latence, au tremblement des objets observés pendant un long moment, aux flux des rivages dont les bords gardent la précision des choses vues de près avec obstination. Elle suggère la rudesse de cadres symboliques et quasi immuables, entourant des ciels et paysages irradiants comme des peintures de paysages ou des monochromes, à l'aura plus large que l'espace qui leur est assigné. 

 

Texte de Audrey Teichmann

 

 

1. T. Kawamata, Entretiens, Lutanie, Paris, 2013, pp. 10-111

2 M. Bovo, "Ϲтансы (Stances)", Objektiv Press, 19 février 2018

 

 

Bibliographie :

 

Marie Bovo, textes de Marie Bovo, Mouna Mekouar, Pascal Neveux et Joanna Szupinska-Myers, co-édition Frac Provence-Alpes-Côte d'Azur / kamel mennour / Osl contemporary, distribué par Les presses du réel, Juin, 2015.

Marie Bovo, Sitio, textes de Marie Bovo, Régis Durand, Richard Leydier, éditions kamel mennour, distribué par Les presses du réel, Décembre 2010

Marie Bovo - nox, texte de Marie Bovo, co-éditions kamel mennour / Paris Musées, distribué par Les presses du réel, Mars 2007.

Marie Bovo - night drippings, texte de Marie Bovo, co-éditions kamel mennour / Paris Musées / Collections Saint-Cyprien, distribué par Les presses du réel, Octobre 2005.

 

 

 

Née en 1967 à Alicante en Espagne, Marie Bovo vit et travaille à Marseille. Marie Bovo a fait l'objet d'expositions personnelles aux rencontres de la Photographie d'Arles, à la Chambre - Espace d'exposition et de formation à l'image, à la Fondation Fernet-Branca, au California Museum of Photography, au FRAC Paca, à l'Institut Français de Madrid, à la Maison Européenne de la Photographie, Paris, à Luìs Serpa Projectos, Lisbonne, dans les Collections de Saint-Cyprien, aux Ateliers de la Ville de Marseille, au Mac de Marseille, à la Fondation ERA à Moscou, à l'organisation Porte Avion à Marseille et à la galerie Roger Pailhas. Son travail a été présenté dans des expositions collectives à la Triennale de Milan, à la MAS - Metropolitan Art Society à Beyrouth, au Museo Riso, au Pavillon de l'Arsenal, à l'Institut Culturel Bernard Magrez, l'Hôtel Labottière, Bordeaux, le Museum of Contemporary Art, Chicago, au Maxxi à Rome, à la Maison Européenne de la Photographie, Paris, au MAC Musée d'Art Contemporain, Marseille et lors de la Biennale de Busan, Corée. En 2016 elle a été nominée aux ICP Inifinity Awards à New York, pour son exposition « La danse de l'ours » au FRAC Provence Alpes Côte d'Azur.

 

Marie Bovo est représentée par Kamel mennour, Paris/London et OSL Contemporary, Oslo.